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RONDO ET PASSACAILLE

En cette période de rentrée, le sentiment de nouveauté s'entremêle à celui de répétition. Jamais pareil, mais pourtant encore...


Dans les magasins, les rayons proposent leurs étalages d'affaires scolaires. Dans nos vies intimes, l'on se prépare consciemment - ou inconsciemment - à ce que l'on nomme "reprise", en se demandant se qui sera différent cette année.


René Char avait ces mots sages : "l'acte est vierge, même répété".


LORSQUE LA MUSIQUE SE RÉPÈTE


En musique il existe certaines formes qui créent ce sentiment d'éternel retour dont parlait Nietzsche. La forme rondo est une forme où le le refrain alterne avec des couplets différents et contrastés. On la schématise ainsi : A-B-A'-C-A''-D-A''', etc...


Une Passacaille est une forme musicale lente à trois temps dont la basse se répète obstinément. Parfois juste quelques notes se réitéreront du début à la fin tandis que les voix supérieures se développeront, comme des variations, des ornementations ou autres modulations qui laisseront pourtant inchangeable cette basse que l'on nomme "obstinée" à travers l'infiniment expansion de l'oeuvre.


Il y a encore les fameuses Chaconnes du répertoire, dont la plus célèbre, celle de Bach pour violon seul, ne font que répéter un même schéma, inlassablement renouvelé. Et quelle beauté ! Quelle grandeur...


L'on connaît aussi Ravel qui a imaginé l'oeuvre la plus "anti-musicale" selon ses termes dans son Boléro s'appuyant sur un seul et même élément mélodique ainsi qu'un rythme répété sans aucun autre développement que des couleurs de timbres et quelques enrichissements harmoniques. Rien d'autre que de la répétition ! Et une transe s'installe...


Alors qu'est-ce que tout cela nous dit ?


Qu'on ne se baigne jamais deux fois dans le même lac ! (Héraclite)


Mais allons plus loin ! Car, ceux qui me suivent connaissent ma double passion pour la musique autant que le soin de l'âme et de l'esprit.


Il y a quelques temps, j'ai réalisé le trompe l'oeil de croire que l'on a évolué si l'on ne revit plus jamais des scénarios vécus par le passé. Ou plutôt j'ai compris le besoin de subtilité que requérait cette idée fortement répandue en thérapie psycho-émotionnelle.


ÉVOLUONS-NOUS VRAIMENT ?


Lorsque l'on s'intéresse à libérer des zones d'ombre, en soi, c'est-à-dire à mettre de la conscience sur des parts inconscientes de sa propre psyché afin d'ouvrir son champ des possibles, l'on croit trop souvent à une ligne droite partant de la gauche pour aller vers la droite. Normal, c'est ainsi que l'on nous inculque la frise du temps lors de nos premières années d'école. Or le temps n'a jamais été linéaire !


D'autres fois, l'on pourrait croire à une ligne verticale, du bas vers le haut. C'est encore une idée qui nous viendrait d'un concept d'évolution selon lequel ce qui est bas serait inférieur et moins développé à ce qui est haut. Pourtant ces concepts ne reposent sur rien de scientifique à proprement parler. Mais nos inconscients en fourmillent !


Alors observons plutôt le mouvement des planètes, celui des atomes et finalement le mouvement de toute cellule vivante... Ne sommes-nous pas obligés d'en conclure que "cela tourne en rond" ?


Oui, nous tourons en rond - et cette expression mériterait de retrouver sa part de noblesse. Car que pourrions-nous faire d'autre lorsque nous croyons nous élancer face horizon, celui-là même qui ne nous mènerait, en bout de course, qu'à revenir sur nos pas ?


Ainsi va la Terre...


Évidemment, lorsque les psychothérapeutes font allusion à l'idée de ne plus revivre les mêmes schémas, ils oublient, à mon sens, de préciser, qu'il ne s'agit pas tant de l'événement en soi que de la manière de le vivre.


Une personne peut avoir vécu plusieurs deuils (d'ailleurs c'est le propre de notre vie de vivre des deuils selon différentes formes, alternés par des renaissances), un nombre incalculable de divorces ou même d'accidents. Mais prenons le sens inverse : si une personne vit un nombre incalculable de succès répétés, dirions-nous qu'elle n'a pas évolué ? En réalité, il se peut même qu'elle n'ait pas conscience de ces succès, à l'inverse de l'autre personne vivant des événements à priori plus tristes qui a peut-être conscience de vivre des libérations et d'avancer dans sa compréhension, sa maturité ou sa sagesse à les vivre ? Dans sa légèreté à vivre, tout simplement ?


REVENIR EN CONSCIENCE


En moi, j'ai cette sensation d'une musique qui nous reflète, d'une vibration qui nous est propre. Pourquoi diable vouloir s'en échapper ?! Comme une forme rondo, elle peut, en revanche chaque jour se vivre sous un nouvel angle. "La terre tourne autour du soleil mais chaque jour la lumière du soleil se pose sur la terre selon un angle différent" écrivait Paul Auster dans son film Smoke.


Alors j'aimerais un jour déclarer officiellement à tous ceux qui, comme moi, auraient la sensation un peu honteuse d'un déjà vu, déjà vécu, qu'il n'y a rien de plus normal que de passer et repasser sans cesse sur ce thème qui le nôtre, cette mélodie qui chante, en nous. Et que, pourtant, à chacun de ces retours, ce n'est plus la même histoire...


Sinon quoi ? Nous ne devrions plus jamais être en colère car nous avons déjà connu la paix après la colère ? Nous ne devrions plus ressentir de tristesse puisque nous avons connu la joie qui succédait à cette tristesse ? Les tempêtes et les saisons s'alternent. Vouloir faire table rase d'une part de l'existence serait s'empêcher de vivre.


Il y a une émotion toute particulière à marcher dans le sable là où nos traces étaient déjà posées l'instant juste avant parce que nous y étions passés. Le regard, riche de cette émotion, se pose ailleurs, voit autre chose...


HISTOIRE ET RÉALISATION


Selon les bouddhistes, nous nous réincarnerions des milliers de fois. Peut-être à l'infini ? Heureusement serions-nous alors plongés dans cet oubli, cette amnésie profonde que l'on prend pour une ignorance, sans quoi nous serions infiniment ennuyés de revoir sans cesse le soleil se lever et se coucher, sans autre but que ce perpétuel mouvement. Comme notre respiration n'alterne que sur deux temps typiquement harmoniques - tension / détente - nous continuons de nous émerveiller, ou tout du moins, de ne pas savoir tous les mystères dévoilés de ce que l'on nomme "vie".


Parce que le but n'est pas de savoir. Mais d'être...


Ma croyance est que nous repassons sans cesse par notre thème pour en connaître toutes ses saveurs, de vies en vies, ou sur cette unique incarnation.


LA MUSIQUE SE RÉPÈTE-T-ELLE ?


Après la seconde guerre mondiale, la musique dite "classique" ne pouvait plus proposer les formes du passé telles quelles, notamment la célèbre forme sonate. Pourquoi ? Parce qu'elle consistait en un schéma A-B-A' dont cette dernière partie reflétait le retour bénéfique d'un début. Or, après Hiroshima et Auschwitz, était-il possible - voire décent - de s'imaginer revenir à sa vie d'avant ? Impossible. Comment eut-il été possible de retrouver l'émerveillement après avoir vu l'horreur ? Pourtant, voilà l'oeuvre de la Vie, plus forte que tout : nous avons continué d'inspirer et d'expirer, de nous réveiller et de nous endormir en observant ce ciel impassible...


Aujourd'hui où l'on considère encore que plus rien ne sera comme avant dès lors que le trans-humanisme et autres intelligences artificielles font leur entrée.


Sans doute la forme ne sera plus celle de revenir exactement à l'identique au passé, mais d'aller bien plus loin : à l'origine ! Car la véritable origine n'a pas de temps et n'a pas de lieu. Au-delà de tout, les développements et les crises nous ramènent toujours à la maison, pas celle, factice, créée par une sorte de tromperie, mais celle qui, en un mot se résume à cela : l'essentiel. L'essence même de notre être.


RENAISSANCE


Est-ce pour cela que nous assistons au même moment à l'apogée de la technologie et à l'attrait pour se revenir aux sagesses ancestrales ? Ni l'un ni l'autre mais une combinaison des deux nous rappellent l'extrême sophistication de ce que nous sommes.


Or, ayant trouvé cela, nous continuerons de tourner et tourner encore, comme les enfants tournent sur ces manèges de chevaux en bois qu'ils ne peuvent pas contrôler mais sur le lequel ils peuvent vivre toutes sortes de choses.


En cette rentrée alors qui marque par sa pleine lune "bleue" du 31 août un renouveau fort, j'aime à penser que partout où nous allons, nous n'allons nul part ailleurs qu'autour d'un même noyau : notre âme qui nous rappelle à nous !


Je vous souhaite d'être tout ce que vous êtes en ce mois de septembre,


La mélodie et le rythme,

L'harmonie et la pulsation.


En paix et dans le coeur,

Hélène Tysman









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