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CRÉER LA MAGIE

  • Hélène Tysman
  • il y a 2 jours
  • 6 min de lecture

La musique est magique.


Avez-vous déjà remarqué que n'importe quel décor peut se transformer selon la musique que vous écoutez ? Un banal quai de métro devient le théâtre profond de votre âme au son de Bach, un terrain de golf semble poétique à travers une symphonie de Brahms et un enterrement évoque la joie si Louis Amstrong retentit...


Ce n'est pas ce que nous voyons mais ce que nous entendons qui est si impactant. Et plus que des mots, les sons. la vibration. Mais au-delà de ce simple constat, c'est autre chose qu'il m'est venu à l'esprit. Un point de vue d'interprète. Pourquoi la musique est-elle magique ? Ou plutôt pourquoi fait-elle tant appel à la magicienne en moi quand je m'y plonge ? En vérité, bien qu'il puisse y avoir une partition, un programme de concert, le musicien n'a aucune idée de ce qu'il va se passer sur scène ou même en studio. C'est cela la magie.


Ne pas savoir. 


Soudain, tout s'illumine ! Cette injonction contradictoire de notre société qui voudrait tout savoir me saute au visage. Pire, tout prévoir ! Tout calculer. Tout mesurer. Puis réaliser que ce sont la surprise, l'émerveillement, l'étonnement, nous rendent vivants. Un instant nous croyions avoir perdu l'audace de s'aventurer sans savoir... cet apprivoisement de la peur. La peur n'est qu'une autre forme de l'amour. Si souvent nous confondons les deux. "Je fais cela parce que je t'aime !" lançons-nous ou entendons-nous trop souvent au sein des familles, des couples. Non. Pas parce que je t'aime. Parce que j'ai peur ! Ce n'est pas grave, mais c'est une autre nuance de l'amour. Celle de l'amour véritable ne restreint pas mais agrandit, ne limite pas mais célèbre, à l'infini.


Bref, je m'égare ! La magie, en ces temps de Noël, nous apparait sous mille formes, à notre imaginaire unique. Et l'autre jour, tandis que je travaillais à mon piano, cela m'est venu. Tout mon apprentissage de musicienne pourrait se résumait à cela : faire que chaque note soit la plus magique possible. Voilà tout. Et soudain, c'est cela qui crée le phraser inattendu mais bouleversant, le legato tant recherché ou la compréhension des modulations harmoniques. Cela ne peut pas être ordinaire sinon le compositeur n'aurait pas pris la peine de l'écrire. Or, revenant mille fois sur une même partition, on pourrait croire qu'en rendant correctement le texte, ce serait "parfait". Mais pas magique...


Comme dans la vie, et encore une fois en ces temps de fêtes, nous croyons, "par amour", vouloir prévoir le diner de festivité, l'emplacement des invités, les cadeaux et chaque geste minute par minute. Et déjà nous perdons l'essentiel : ne pas savoir. Ne rien savoir !


L'amour, n'est-ce pas cela ?


N'avoir aucune idée de demain, même dans les bras de celui ou celle qu'on aime. C'est si difficile aujourd'hui d'admettre cela : ne pas savoir. Car n'importe quel outil Google, IA et sans parler des bibliothèques de prix Nobels, nous donnent tant de réponses. Les réseaux affluent de tout, au point que mon inspiration à continuer d'y écrire mes textes quotidiens n'y est plus ! Car le bruit est fracassant... Tout le monde sait. Mais sait quoi ? Car la peur n'a jamais semblé aussi présente. L'illusion de la peur, bien sûr ! Cette illusion que, "si je ne sais pas, je dois m'en inquiéter".


La nouvelle valeur ne serait-elle pas celle-là ? Pour accéder au magicien, à la magicienne en nous, rien de plus facile : accepter de ne pas savoir ce qui vient à la mesure suivante dans la partition. Sur un plan, je peux savoir à peu près quelles notes y sont. Mais comment vont-elles sonner en cet instant sur cet instrument et dans cette acoustique ? Aucune idée ! Impossible à savoir car il n'y a que maintenant pour le révéler.


Ce fameux "maintenant"...


Dans les figures archétypales en psychologie, le magicien se révèle quand le guerrier s'est résolu à poser les armes à terre, à réaliser que la guerre est finie et qu'un genou à terre lui permet d'ouvrir grand son coeur facilement, joyeusement... Il n'y a plus a combattre pour savoir ou faire savoir. Le magicien est un alchimiste qui ne cherche pas à imposer une interprétation mais à oeuvrer avec ce qui est, à créer, alchimiser, et s'amuser à partir des notes de la partition. Tout devient malléable. Car rien n'est une finitude. Il n'y a pas besoin de prévoir si l'on sait que l'on est magicien !


Le guerrier croit devoir prévoir car il maintient une croyance limitante, celle de ses ressources qui pourraient être menacées. Le magicien a une foi inébranlable dans l'aspect illimité des ressources, de l'abondance, de la vie.


Arrivant sur scène, ne pas savoir est peut-être le meilleur état d'esprit qu'il puisse être. Il signifie "j'ai une confiance absolue et c'est précisément pour cela que je ne sais pas". Ce n'est pas un non-savoir inquiet ou paresseux. C'est un état d'être qui ne se soucie pas d'aller plus vite que la vie, d'être plus fort ou d'arriver plus loin avant... avant quoi ?


Une amie un jour me glissa ce néologisme au cours d'une discussion : "amourifier la matière". Depuis, son écho résonne en moi. Je réalise que c'était précisément cela l'archétype du magicien : amourifier la matière. Il n'y a ni vite ni lent, ni après ni avant.


En toute situation, l'unique dénominateur commun est soi. Ai-je besoin de me le rappeler ? C'est quand j'oublie qui je suis que je m'agglutine sur l'Autre en voulant le serrer, l'enserrer, le délimiter et le limiter "par amour" - en réalité par peur d'avoir oublié qui je suis. Alors il n'y plus de dénominateur commun, plus de repère et je cherche à tout savoir. Mais lorsque je reprends conscience de ce que je suis, lorsque j'y suis présente, peu importe le connu ou l'inconnu - d'ailleurs y a-t-il vraiment quoique ce soit de "connu" ? -, ne pas savoir me permet au contraire de découvrir les harmonies extraordinaires de la partition.


Vivre !


Ce sont des rencontres inattendues, exceptionnelles. Des improvisations et une partition qui semble toute nouvelle, immense... comme si le son, la vibration n'en finissait pas. Certains musiciennes appellent ces moments "instants de grâce". Ils existent partout dans nos vies, à chaque carrefour où nous acceptons, en grands interprètes que nous sommes, de ne pas savoir ni chercher à savoir.


Cela m'est arrivé pas plus tard qu'il y a une semaine. Ne pas savoir pourquoi j'allais à tel endroit, pourquoi je disais cela, pourquoi je faisais cela... J'écoute certaines informations et continue de me répéter que je ne sais pas quelle est la vérité dans ce qu'ils disent, et si même il y en aurait une de vérité. Les réactions s'emballent en croyant "savoir"...


Je me délecte de cette grande partition comme si c'était la première fois.


Vouloir savoir à tout prix n'est pas nécessairement une qualité.


On pense noble de savoir et misérable de ne pas savoir. Quelle prétention ! Ou quelle tension surtout... Toutes les bibliothèques du monde entier ne suffiraient as à rassembler 1% de ce qu'il y aurait peut-être à savoir. Si tant est qu'il y ait quelque chose à savoir. Pour autant, il est certes merveilleux d'apprendre, de satisfaire sa curiosité. Mais une fois la tête nourrie, c'est le coeur qui réclame d'être vivant et le corps tout entier, et l'âme qui nous poussent incessamment vers l'aventure. Vers l'imprévu. Rentrer dans une bibliothèque, ce n'est pas juste se cultiver. C'est pousser une porte, rencontrer des êtres inconnus, des couleurs, des odeurs, la lumière du soleil qui se pose à travers les vitres, un sourire ou une surprise... et finalement cette bibliothèque pourrait être le quai d'un métro, le comptoir d'un bar au coin d'une rue.


Et si, en cette période que l'on dit "magique" de Noël et du nouvel an, nous acceptions de ne pas savoir ? De surtout n'avoir aucune idée de ce qui s'en vient, de qui est cet être que je cotoîe peut-être depuis 40 ans, de quelle est la prochaine mesure, fut-elle soit en solo, en duo ou en orchestre... quelle est cette nouvelle année 2026, à quoi ressemblerait-elle ?


Je ne sais pas. Et c'est cela qui rend une interprétation magique.


Voilà donc ce que je vous souhaite en cette fin d'année : ne pas savoir et amourifier la matière.


Parce qu'on ne peut être magicien, c'est-à-dire créateur et interprète qu'en étant libre, je ne sais alors qu'une chose : je ne sais pas !


Et soudain, ce souffle de liberté me porte, m'emporte...


À vous, magiciens, magiciennes !


Joyeuses fêtes !


Hélène Tysman



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