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LE SAUT DE L'ANGE


Il est des voyages qu’on n’oublie pas. Lorsqu’on voyage au cœur de soi, tout prend l’aspect du miracle. Pourtant ce n’est pas toujours confortable, pas toujours agréable de prendre un aller simple en direction de soi. Il n’est pas question ici d’égocentrisme ou de narcissisme mais de la plus courageuse, la plus humble, la plus gigantesque des explorations. S'il est un lieu auquel l'on se rend, pétrifié d'honnêteté, c'est bien celui-ci. On croît parfois nécessaire d'aller rencontrer le monde pour se connaître. Ce monde pourtant ne sera jamais qu’une représentation de notre monde intérieur. Impossible d'y échapper. En rencontrant l'autre, c'est toujours moi que je rencontre, inévitablement. Merveilleusement. Et comme un plongeur reste à observer la surface de l’eau se demandant si c’est le moment de plonger ou non, le risque serait de rester assis là des années à attendre une météo favorable. Or la météo ne dépend que de notre intérieur. Si nous sommes pleins des rayons de soleil qui se posent scintillants sur les pourtours infinis de l’eau, il y a toutes les chances de les voir et les recevoir à travers chaque regard que nous posons sur le monde. Pour la pianiste que je suis, un concert qui ne serait pas l’occasion de se rapprocher de soi n’a aucun intérêt. La musique n'est rien d'autre qu'un art de voir, d'entendre, de ressentir. Une catharsis dans son tunnel intérieur. Un accélérateur d'éveil. Une ouverture par-dedans. Petite, je n'ai jamais entendu l'idée qu'on pouvait faire autrement, que d'autres options existaient, toujours, en n'importe quelles circonstances. Ce manque d'horizon m'a ouvert à d'autres portes, telle Alice au Pays des Merveilles...


Dans cette hyper vigilance de chaque instant, je répondais à tout injonction extérieure presque avant qu'elle ait été émise. Cette habilitée forgée par l'âge avait créé de moi un certain personnage. Hyper connectée à l'extérieur, sensible jusqu’aux moindres soubresauts d’une hirondelle. Parfait pour s’extasier de la beauté du papillon quand il bât des ailes avec la délicatesse d’un ange. Mais absente de mon intérieur. Comme si, à force d’être l’autre, de projeter toute extase sur un objet extérieur, on ne se nourrit plus soi-même. C'est là le propre de la passion. Attendre de l'Autre qu'il remplisse ce qui est vide en moi. Qu'il s'agisse de la nourriture, de l'érotisme ou de la passion pour quelque domaine que ce soit. Résignation à être objet de passion aussi, soi-même pour l'autre. Faire plaisir aux autres. À la fois absent et dépendant, voilà la double peine d'un être tentant de survivre dans un sur-place. L'APPEL DE L'ÂME Depuis quelques années je réalise que mon âme aime explorer, tester, découvrir. En un mot : partir à l’inconnu. L’inconnu est l’endroit le plus effrayant pour chacun, sinon rien ne nous arrêterait. Toutes sortes de scénarios catastrophes que nous prévoyons (surtout en ce moment) ne sont que le résultat de vieilles croyances sur ce que représente l’inconnu pour soi-même, c’est-à-dire notre peur la plus intime. Elle est la trace bienveillante d'un passé en perpétuelle résilience. L’inconnu n’est peut-être pas ce que nous savons de nous-même mais ce que nous ferions si nous nous écoutions vraiment. En cela il nous terrorise. Il n'est que le reflet de nos démons comme de nos anges, de notre beauté autant que nos fissures. Voilà donc l'expérience qu'il m'a été donnée de faire récemment comme la plus initiatique des épreuves. Initiation chamanique diraient certains. À la frontière de deux mondes - ce que l'on prend pour la vie et la mort - voilà le terrain d'exploration d'un sage, d'un fou, d'un chaman ou d'un artiste. Seul compte de savoir y revenir, par soi-même.

Or comment se trouver, se rencontrer, si l'on accepte pas la possibilité de se perdre ?


SE PERDRE POUR MIEUX SE (RE)TROUVER

Partie marcher dans une forêt inconnue aux abords de Paris, dans le cadre d'une retraite de méditation, entre deux sessions, me voilà vite étourdie. En alerte par tous les sens, je m'extasie à chaque pétale de rose comme la plus belle des offrandes. Chaque endroit où mon regard se pose est une cathédrale de beauté, un surgissement de l'âme, une orgie pour le coeur. Le corps, en fusion, embrasse les vibrations du vivant à travers toutes ces plantes. Elles sont une symphonie du vivant. Abondance de joie ! Je m'y engouffre donc, ou plutôt laisse mon instinct me guider à travers les chemins, tantôt à droite, tantôt à gauche. Le temps n'existe plus. Quand l'instant se vit, la conscience devient éveillée, totalement là, présente à chaque geste, à chaque partie du corps. Il n’y a plus aucun passé ni aucun futur. Ils sont illusion. Reste l'instant comme pur Amour. Infinitude. Plongeant dans cet abysse de beauté, je sens mes circuits neuronaux se transformer, comme si j’assistais moi-même, témoin, à la transmutation d'anciennes pensées parasites qui ne parviennent plus jusqu’à moi. Tous ces inconforts qui m’habitaient depuis trop longtemps s'annihilent les uns après les autres. Changement de structures, transmutations de schémas. J'observe ces mécanismes se remplacer comme une auto-opération chirurgicale depuis mon cerveau. Cela en devient vertigineux. L'endroit où ça vrille peut être déstabilisant. Qui suis-je si je ne suis pas ce que je me suis laissée raconter de moi si longtemps ? Qui suis-je surtout si je ne suis rien ? Et Tout à la fois ? Plus d'attache, plus de prises sur lesquelles se raccrocher. Juste l'infini vaste, l'horizon sans limite. Comme une main qui s'ouvre et offre le caillou retenu par crispation, il y a une sensation de "no limit". Ça lâche... À l'image de ce sport, ces plongeurs sous apnée qui le pratiquent partent explorer cette absence de fin, ce dépassement de cartographiques internes. Il est alors normal de sentir une perte de repères. Et quel luxe de s'offrir, le temps d'une vie - c'est-à-dire celui d'un battement d'aile, celui d'un souffle - l'interrogation sur ce que l'on est vraiment - en essence. Or c’est précisément à cet endroit, trop effrayant, que nous rebroussons souvent chemin, ayant crainte pour notre intégrité physique, morale ou que sais-je. Vieilles croyances. Vais-je devenir folle ? Vais-je mourir ? Vais-je pouvoir revenir vivre dans ce grand bain, cette gigantesque illusion ? "Au-delà de cette limite, comme dit Romain Gary, votre ticket n'est plus valable". C'est ce qui habite nos inconscients depuis la nuit des temps, depuis les inquiétudes transmises de générations en générations à travers toutes ces mémoires non apaisées. Or c'est aussi, miraculeusement, ce qui nous pousse à aller voir plus loin, toujours plus loin. À guérir ce qui a besoin de l'être, à soigner les générations futures, à prendre soin du vivant. À notre époque de nanotechnologie, il semble que le plus loin n'a jamais été aussi près ! Paradoxalement, entre la tête et le coeur se trouve le plus long voyage, la plus grande quête du Graal. Nous poussons des millimètres de fourmis comme nous explorions jadis les mers inconnues de notre planète. Alors soudain, à force d’aller loin, une vieille peur ressurgit et me dit qu’il est temps de rentrer. Rebrousser chemin. Ma tête tourne, le cœur s’accélère. Ma pensée le traduit par de l’inquiétude. Et me voilà soudain « perdue ». Au milieu d’un bois inconnu, sans téléphone, sans adresse, sans personne alentour, en état suffisamment décalé pour perdre pied... Ce qui devait être une simple petite balade entre deux sessions de méditation est en train de prendre une tournure toute autre. Elle prend l'allure, peu à peu, d'un cataclysme. Gigantesque. Comme un tsunami, cela ne fait aucun bruit d'abord. Seul l'écho lointain, assourdissant, la vibration d'années, de décennies, qui murmure depuis les profondeurs des océans pour éclater subitement le moment venu - inattendu, imprévu. Suffisamment alerte de situations extrêmes, je me calme pour revenir sur mes pas. Mais la tranquillité n’y est pas. Et l'exiger ne la rend que plus impossible. Alors elle fait semblant. La tête s’agite et le mental s’emballe. Il essaie de calculer combien de fois j’ai pris à droite ou à gauche et à quels moments. Penser que le mental nous aide dans de telles circonstances, c'est croire qu'on se sortirait de la peur de mourir grâce à notre rationalité... Incongru ! Ça tourne et tourne encore. Pas seulement dans la tête, pas seulement dans les veines ni dans l’espace mais comme si en tournant cela m’amenait à mes 6 ans. Régression. Voyage au coeur d'un temps quantique... Une toute petite fille perdue. Cette petite chose de rien du tout, abandonnée. Nous y sommes ! Ça y est. Qu’y puis-je ? Rien, vraiment rien. L’abandon est là, il s’était accroché au corps, implacable. Seule. Cette mémoire abyssale a traversé les âges avec moi. La voilà qui crie, qui surgit, qui éclate. Ce tsunami débarque sur cette petite chose qui me définissait encore et à laquelle je m’identifiais. Elle se dresse comme une vague d’une violence inouïe. Cataclysme. En séance d’hypnose, lorsque j'accompagne moi-même ceux qui cherchent à dépasser ces inconforts, il s’agit parfois de revivre un traumatisme pour le dépasser, traverser la rive pour rejoindre l’autre bord, définitivement, et savoir qu’à tout moment il sera désormais possible, voire facile, de le faire. Mais cela demande une certaine purge émotionnelle qui peut parfois ressembler à un enfer, même quand cela ne dure que quelques instants. Cela demande aussi d’être accompagné. Traverser les enfers et en revenir, j'en ai une petite expérience. Mais il y a toujours eu au coin de l'esprit l'idée qu'on en revenait, même à moitié, même transit. Or, à l'instant, autour de moi, alors que tout est pure beauté, une voix me dit que je n'en reviendrai peut-être pas... En même temps que mes 6 ans, c'est une vieille âme qui surgit, pétrifiée d'être peut-être arrivée au moment du passage. Il est possible, me dis-je, que je ne trouve jamais la sortie. Y en-a-t-il une seulement ? Sortir de ce paradis sans y parvenir devient un enfer ! Me voilà seule à purger le pire de mes abimes : la solitude totale. Face à moi-même : le labyrinthe infernal.


Puis-je exister si aucun être humain ne me voit ? Le monde a-t-il seulement existé vraiment ? Tout cela n'est-il pas une simple folie ? Très vite, je sens que plus je tourne, plus l’angoisse monte et que c’est elle, avant toute chose, dont je dois prendre soin. Non pas du chemin, non pas de marcher encore des heures, mais de cette partie en moi qui hurle de peur et de tristesse. « Pourquoi m’as-tu abandonné » s’écrit Jésus sur la croix, avant d’ajouter : « Que ta Volonté soit faite ». Tout cela se comprend subtilement. Il n’est bien évidemment pas question d’une volonté extérieure qui déciderait de tout. Et il n’est jamais question d’abandon mais de l’illusion de l’abandon. Comment être abandonné à l’intérieur-même de la matrice d’où nous venons ? Difficile à ressentir quand on est en proie aux vieux démons. Pourtant ce serait comme d'entendre un oiseau dire : "pourquoi m'as-tu jeté dans les airs ?"


Même terreur lorsqu'on vous pousse, petit enfant, à dévaler une pente pour la première fois en vélo ou à vous lancer sur vos skis... Nous avons les ressources mais nous n'y croyons pas. Ce jour-là, en pleine forêt, la petite fille en moi, effrayée depuis trop longtemps, a eu besoin de revivre cet effroi pleinement pour libérer une bonne fois pour toute ces vieilles stigmates de la peur. ces vieux attachements. Une peur irrationnelle, paralysante. Un auto-accouchement. La vie n'est faite que d'accouchements, de morts, de renaissances, de deuils et encore d'accouchements.

GUÉRISON

Je repense alors à une vidéo de l’acteur américain Will Smith racontant son saut en parachute. Pris d'horreur, il décrit ce qui se joue en lui jusqu’au moment où ses orteils rejoignent le bord de la porte d’avion ouverte au vide. Le vide... On peut savoir qu’on a un parachute, qu’on n’est pas totalement perdu, le corps, lui, réagit selon de vieilles mémoires. Qu'est-ce que le vide ? Il n’y a rien à y faire. La respiration se bloque, les nerfs lâchent... Alors, poussé par le moniteur, le voilà subitement projeté dans les airs, d’abord palpitant de peur, de surprise, puis découvrant la chose la plus « divine » - pour reprendre ses mots - qui soit de vivre. Et d’ajouter que derrière chacune de nos terreurs se trouve l’expérience la plus sublime au monde. Il suffirait donc de pousser la porte, cette fameuse gardienne de nos pires démons, aussi lourde et infernale soit-elle. Derrière elle, tout juste là, le plus grand des cadeaux. Tout l’amour du monde. Nos peurs seraient un joker, un accès à plus grand que soi. À nous de les déballer, d'ouvrir leurs ficelles et leurs empaquetages... Repensant à cette image, je tente de reprendre mon souffle au milieu de ces arbres qui me regardent sans me voir. La vraie détresse me dis-je, c’est peut-être de mourir sans que personne n’en soit témoin à part moi. Vivre sans témoin et mourir comme une mouche. Dans cet abysse de silence. Si personne ne me voit, suis-je toujours vivante ? Qu'est-ce qui me le prouve ? Soudain des sensations... D'accord, mon corps existe. Étrange. Et si je devais y rester vraiment ? Après tout, personne ne pourrait me retrouver et le temps qu’on s’aperçoive que je ne suis pas rentrée et qu’on vienne me chercher, je commence à compter les heures et les jours… D'ailleurs personne ne semble s'en soucier, voilà mon ego qui en fait des siennes. Alors, si je dois y rester, comment est-ce que je souhaite le vivre ? Puis-je aimer cette partie de moi, cette toute petite chose fébrile qui crie et pleure de peur ? Pas très glamour. Pas agréable du tout. J'aimerais retrouver mon GPS intérieur. Mais il est en panique. Inexistant. Inaccessible pour l'instant. Et plus j'y pense, plus il me brûle au corps. Pourtant je sens bien qu’à part le ciel et moi, rien ni personne ne pourra aider cette partie de moi. Il va donc falloir lui parler moi-même, l’accueillir, l’accepter. Et surtout ne plus chercher la sortie. Il n’y en a pas. Chercher la confiance, la détente. À l'intérieur. Puis-je m’en remettre à l’intuition ? Puis-je trouver cette foi absolue ? En suis-je capable ?


Puisqu’il n’y a plus rien à perdre... alors je suis libre. Ni avant ni après. Si cela doit être mes derniers instants, vivons-les pleinement, entièrement, en chaque partie du corps et du cœur. Vivre intensément, accepter que tout cela n’est rien au final. Appelle-t-on cela le lâcher prise ? Quand il en va de sa vie propre, ce mot revêt une dimension toute autre. S’abandonner à l’abandon. Embrasser ses peurs et respirer la vie qui me traverse. Plus aucune attente. Juste l’urgence de prendre soin de moi pour ne pas mourir d’angoisse. Mourir peut-être, mais plutôt d’extase que d’inquiétude ! Focalisée sur ces parties en moi, caressant celles qui crient, tentant de parler à mes pensées en chaos, je laisse mes pas aller. Je ne fais plus confiance à ma tête. Elle a été ballottée ici et là, un coup selon une direction, un coup ailleurs. Une vraie girouette ! Peureuse par instants, paresseuse à d'autres quand elle tourne dans le vide, quand elle n’est pas animée par le cœur. Le coeur justement qui crie a besoin de retrouver de l'amour pour avancer. Observant cela, je lâche toute volonté. « Que ta volonté soit faite et non la mienne ». Peut-être parle-t-on à notre inconscient lorsqu’on laisse résonner cette phrase. Car l’inconscient n’a jamais de mauvaises intentions et notre instinct sera toujours de prendre soin de soi. Alors je me laisse aller au gré des fleurs, retrouvant un peu l’élan de respirer par ici puis par là. Puis-je marcher sans aucun but ? Quelle étrangeté. Ne plus savoir si l'on existe ou pas, s'ouvrir à l'invisible comme jamais...


Je revois cette petite fille en moi recroquevillée de peur et lui parle, lui souffle qu'on est en vie. Soudain, une rose m’attire et je cède à l'élan du corps. Cette attirance m'amène sur un petit chemin que je connais… Le voilà le chemin ! Me voici sur les pas qui mènent à ma destination. Après plusieurs heures de panique, de déambulation, d’abandon, d’acceptation, de foi, d’extase, d’embrassement et de réconciliation avec moi-même, je réalise mon initiation. Comme une revenante d'un autre monde, je sonne à la porte de laquelle j'étais partie quelques heures auparavant - tel un mirage - et tout m'apparaît plein, rempli, parfait. Guidée. La Vie nous veut du bien, je le sais à présent. Comment peut-on l'oublier ? Je réalise subitement chacun de mes gestes, chacun de mes pas, chacune de mes apparentes défaites comme chacune de mes apparentes réussites au travers de ma vie comme le boulon parfait d'un rouage où tout est juste. Il n'y a rien que l'on fasse qui soit faux. Jamais. Comme Will Smith s'élance dans les airs, je prends conscience qu'il y a tout à risquer, toujours, car le meilleur se trouve derrière la peur. Plus loin... Le plus grand risque, c'est de ne pas oser. Il n'y a rien à perdre, jamais. Juste à transformer, explorer. Est-on prêt à l'expérience totale pour réaliser sa vie ? est-on prêt au saut dans le vide ? Pour les bouddhistes, ce n'est pas tant que nous ayons peur de mourir mais plutôt de vivre. D'ailleurs il semble impossible d'être en paix avec une seule de ces deux facettes. La mort faisant partie de la vie et inversement, comment exister en omettant un côté de l'expérience ? Je me méfie de ceux qui se disent dépourvus de la peur de mourir comme je suis touchée de ceux qui témoignent leur peur d'ouvrir les ailes de la vie...


Comme un orgasme, la peur, l'inconfort, s'alchimisent en ouvrant son corps, comme les cordes d'un instrument ont besoin de laisser résonner leur vibration. On prend plus l'habitude de se rétrécir, de se fermer lorsque l'inconnu surgit alors que nous ne sommes vivant, au fond, qu'à partir de la plus grande des équations inconnues.


LE FIL DE LA VIE Comme me le racontait le célèbre funambule Philippe petit lors de sa traversée entre les deux tours du World Trade Center : à un certain moment, lorsque l'un des deux pieds est sur le fil, l’autre tient encore sur la plateforme. Mais fatalement il y aura cet instant où tout le poids du corps se balancera sur le fil une fois que le deuxième pied aura quitté le point de départ, s’en remettant à toute l’installation du câble et toutes les ressources en soi à tenir en équilibre dans ce vide au-dessus de Manhattan. Il aurait pu rester des heures - une vie entière ! - à rester un pied, ou les deux, sur la plateforme, sans bouger, sans aller plus loin... Mais il lui était impossible de mourir un jour en se disant qu'il n'aurait jamais tenté d'y déposer tout son poids sur le fil de sa vie. Et si la vie n’était que cela ? Lâcher pour mieux voler ? Non pas se rendre en haut de la tour Eiffel en croyant naïvement qu’on volera si l’on s’élance dans les airs. Mais plutôt tous ces instants de vie où nous nous accrochons si fermement à nos souffrances plus encore qu’à nos joies, comme de vieilles pantoufles qui nous paralysent à demi. Proust le décrit lorsque son personnage, Swan, a tant de mal à lâcher Albertine, non parce qu’il l’aime encore mais parce qu’il ne supporte pas l’idée de ne plus être amoureux, à vivre sans cette illusion, cette merveilleuse béquille. Nous sommes si doués à créer nos propres décors en pensant qu’ils nous rendront plus heureux. Nous nous inventons nos propres handicapes, ayant une idée si diminuée de nous-même et paradoxalement démesurément grande de notre ego. Or, c'est précisément en s'en remettant à plus grand que soi que tout advient. Le metteur en scène, qu'on l'appelle, notre Conscience, notre inconscient, notre corps, notre intuition, le coeur, Dieu... est immensément grand.


On croit par ailleurs que l’art serait une illusion de plus, une sorte de trompe-l’œil détournant l’humain de la détresse pour l’amener vers le beau. Il n’en est rien. C’est au cœur de soi et peut-être même au cœur de cette détresse que se trouve le plus beau des joyaux car le plus vrai, le plus libre, le plus unique. Et si tout ce qui nous fait peur était une pure illusion ? Et si derrière cette peur il n’y avait, en réalité, aucun danger ? Voire mieux : s'il s'y trouvait toute la grâce telle qu'on la recherche depuis toujours au fond de nous ? Comment interagirons-nous ? Comment seraient nos journées si nous sautions en parachute dans ce grand vide, l’esprit abandonnant toute lutte dans cet endroit plein de mystère ?


Qu'y a-t-il d'autre à faire que venir souffler sur nos souffrances, réconcilier nos blessures et transmuter nos peines ? Comme des nuages, ils se métamorphosent aussitôt que nous leur donnons un autre visage, une autre destination. Or je crois que l'humanité toute entière cessera de faire souffrir lorsqu'elle cessera de souffrir elle-même. La Vie nous aime. Infiniment. Depuis toujours et pour toujours. Or nous sommes la Vie !


Alors, d'autres horizons s'ouvrent, une manière de faire "autrement" existe et nous en sommes les éternels créateurs.


Dans la joie d'être

Au coeur de notre humanité


Je vous souhaite une magnifique semaine !


Artistiquement vôtre,


Hélène



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