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LA VIE AU BOUT DES DOIGTS

"L'imagination est le début de la création. Vous imaginez ce que vous désirez, vous voulez ce que vous imaginez, puis enfin, vous créez ce que vous voulez." Georges Bernard Shaw


Je ne suis pas ce que je suis.


En cette période particulière où chacun est sommé de revenir chez soi, d'y rester et de se tenir compagnie, nous vivons une véritable séance d'hypnose collective ! En effet, quelle plus grande exploration que ce retour à soi ? Bien sûr, au début, on aura tôt fait de s'organiser, de transposer simplement toutes les activités habituelles extérieures au cocon familial en s'évertuant à poursuivre autant d'activités qu'une journée d'être humain peut en compter. Être humain, vraiment ? Ou "faire-humain" ? Facile à dire. Dans ces instants de perte de repères, d'équilibres, d'ajustements avec un nouveau contexte, sur des équations inconnues, en un avenir incertain, nous voici blottis tout contre nos peurs enfouies, recroquevillés dans les plis de nos inconscients pour les prochaines semaines. Un bon début de séance d'hypnose !


C'est que ce voyage, le plus grand voyage qui soit, celui de la vie, au fond, ne sera jamais vécu que par vous et vous seul. On dit que le corps a une conscience. En réalité c'est la conscience qui inclut un corps en s'identifiant à lui et en incluant de nombreuses autres présences. Tout ce qui n'est pas perçu par cette même conscience est, par définition, inexistant.


La connaissance est minuscule mais l'ignorance infinie... Alors ne vous identifiez pas tant à votre connaissance ! (Sadguru)


Jusqu'alors le paradigme humain était d'apprendre, d'étudier, puis de se lancer, comme on dit, dans la vie active. On commençait donc par regrouper un certain nombre d'informations avant de rechercher l'expérience. Aujourd'hui, même à l'heure de ce qu'on nomme la spiritualité dans son essor, on cherche La connaissance et on a raison de sentir qu'elle n'a jamais été aussi palpable par tous les biais possibles (youtube, google, internet en général, tant de documentations scientifiques et de livres) qu'actuellement. Paradoxalement, là où la vérité n'a jamais été aussi proche de nous, que savons-nous vraiment de nous-même ?


Ce 16 mars 2020, c'est l'humanité entière qui sonne à l'unisson tout en étant plus compartimentée que jamais. Chacun chez soi avec la sensation d'un diapason commun : le coeur. Les rues désertes, tandis que les Italiens sont confinés tout en chantant à leurs balcons, que le ciel et les autoroutes se vident et que les Parisiens restent chez eux, la terre ne s'est jamais aussi bien portée ! Chacun purge, collectivement et individuellement. C'est le moment de s'asseoir en acceptant de voir défiler sa vie, son histoire, présente ou passée, d'accueillir les émotions qui sont encore là certaines plus marquantes que d'autres, les désirs ou les rêves qui pourraient encore faire que chaque instant ne soit pas vécu comme une pépite d'éternité et réajuster en conséquence, avec bienveillance et douceur.


Le long d'une vie, en esprit curieux, muni d'une certaine intelligence, on recherche des informations, des connaissances, des guides, des enseignants ou même des partages d'expériences. Et puis on apprend en interagissant avec les uns et les autres, en se sentant parfois utile, parfois inutile, parfois aimé, parfois mal aimé, parfois compris, parfois incompris. À partir de là, on essaie d'y dresser une sorte de cartographie interne du monde environnant. Or, présentement, le plus grand changement de paradigme, c'est de prendre conscience qu'il n'est d'autre source de connaissance que soi-même. Le plus grand maître, le meilleur enseignant, hélas ou tant mieux, c'est soi-même ! Lorsqu'on rencontre un guérisseur, un chaman, un sorcier, on ne comprend véritablement qu'une seule chose : la vérité est en soi. Très grandiloquent dit ainsi. Et pourtant juste, sans un mot à toucher.


Sans conscience, vivre sur terre est un enfer !


La retraite (parlons plutôt de retraite à la manière des méditants que de "confinement" à l'image de boîtes de conserves ! Car les mots ont une valeur à induire la liberté ou la contrainte), c'est une expérience que chacun va vivre de manière unique ! Même à cinq ou à huit ou douze dans un appartement, même seul dans une maison, chacun va vivre son propre cheminement que personne d'autre ne pourra guider ou véritablement expliquer. Il appartient à un univers propre et c'est cela le privilège, le merveilleux. Toute la sagesse et la connaissance qui en émergeront seront uniques à cette expérience de vie, d'être humain. Et déjà, comme nous le ressentons, étant séparés les uns les autres, nous ne nous sommes jamais sentis aussi reliés, sur un autres plan. Mystère...


Longtemps je me suis désespérée de l'impossibilité à totalement fusionner dans la compréhension de deux êtres. Aujourd'hui je comprends l'illusion ! L'autre n'est pas à chercher en-dehors de moi mais en moi. Toute source ne se trouve pas à l'extérieur mais en moi. D'ailleurs il n'y a plus, à un certain moment, ni d'extérieur ni d'intérieur. Il n'y a que la conscience qui englobe tout et dont l'égo s'identifie par moments à une chose ou à une autre. Est-ce une odyssée en solitaire pour autant ?


La passion se concentre sur une seule chose, elle se consume assez vite. La compassion, elle, est inclusive, elle a donc toujours du carburant.


Je me rappelle un roman de Chaim Potok, L'Élu, dans lequel il dressait le portrait d'un jeune élève d'une Yeshiva* issu d'une famille très orthodoxe où le père ne répondait jamais aux questions du fils, de sorte que celui-ci doive apprendre à trouver toutes les réponses par lui-même. À notre époque, la curiosité est un concept souvent dirigé vers l'extérieur, en recherchant une information déjà établie sur quelque site internet. Lorsque ce mouvement vers l'extérieur cesse, que le bruit se ralentit et que l'espace devient silence, il est alors possible de s'interroger et surtout de s'apprendre soi-même, en dirigeant sa curiosité vers sa propre conscience... Et quelle découverte ! Quel joyau infini ! Libre et direct est cet accès qui parfois se trouve juste derrière la porte de nos peurs.


Les musiciens connaissent cela dans leur tête-à-tête solitaire avec l'instrument dès le plus jeune âge. On apprend par l'expérience de soi-même, en faisant et refaisant inlassablement. Puis on est au contact du rien, cherchant à partir d'un certain niveau, non plus à faire mais à défaire, à interférer le moins possible. À s'effacer. Au point qu'on ne sait parfois plus qui reste.


Un hypnotiseur est un influenceur.


C'est en ce sens que j'ai voulu envisager une autre forme de concert afin de proposer au public, non plus de venir s'asseoir pour entendre l'histoire de quelqu'un, pour contempler la beauté d'une oeuvre extérieure, mais plutôt de venir vivre sa propre expérience, sa propre histoire à travers le miroir de l'autre. L'art, ce n'est qu'une façon - nécessaire - d'entrer par tous les prismes possibles du rêve. Par rêve, j'entends cet état dont parlent les Amérindiens quand ils décrivent la réalité, à l'inverse de l'état de veille qui serait pure illusion...


L'hypnose n'est pas un état de sommeil mais un éveil - à soi-même.


"Nous vivons dans une hypnose socialement programmée !" déclare Deepak Chopra. Et en réalité nous oscillons en permanence d'un état à un autre, plus ou moins conscient ou inconscient. L'art - ou ces moments grandioses d'espace tels nous le vivons actuellement -, à la manière d'un gigantesque acte psychomagique**, sont autant d'outils pour nous permettre de prendre conscience de notre monde intérieur, de la vie qui nous traverse et dont nous faisons la précieuse expérience en chaque instant.


Venir au concert n'est pas, selon moi, un acte culturel. C'est une expérience que l'on vient vivre, une connaissance que l'on vient expérimenter de soi à soi, en catharsis à des émotions qui ne demandent qu'à se libérer pour élargir plus encore son champ de conscience. Comme un accoucheur, comme une sage-femme, l'artiste comme le thérapeute n'est qu'un passeur qui permet à l'autre de se permettre, de se délivrer de sa propre vérité. Ainsi, le public ne vient pas me voir jouer. Il vient jouer avec moi.


Et comme le disait l'inspirante Muniba Mazari : "In order to heal, you need to feel." ***


La liberté s'invente !


Je vous souhaite donc une symphonie de tous les sens en cette période où nous sommes amenés à être les guides de nous-même, indépendamment de tous les stimuli extérieurs, de nos habitudes à répondre aux injonctions de l'Autre  ou du monde sans entendre d'abord sa propre voix (et voie) intérieure, comme le rythme de la Terre. Par-delà les vagues, par-delà l'inconfort, l'illusion, l'impatience, le désir, la peur, l'inquiétude, le vide, le rien, les rires et les pleurs... Embrassons nos paradoxes et jouons notre mélodie !


Goutte d'eau parmi les gouttes de l'océan, indispensables et transparentes, je me relie à chacun de nous en jouant moi aussi, de loin ou de près, les harmonies du coeur.


À bientôt de vous retrouver

À tout de suite

Jusqu'au bout des doigts !


Musicalement vôtre,

Hélène


*une Yeshiva est un centre d'étude de la Torah et du Talmud dans le judaïsme

**Alexandro Jodorowsky, inventeur de l'Acte Psychomagique

*** "Pour guérir, il faut ressentir"



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