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Chopin était-il révolutionnaire ?

DU GUERRIER AU MAGICIEN


Empruntant ces termes à Stephen Gilligan dans sa représentation de l'évolution humaine selon ce qu'il nomme des archétypes, je ne me retiens pas à y dresser certains parallèles avec notre élan vers l'art autant que dans ce que je perçois du monde actuel.


Il va sans dire que toute représentation du monde que je poserai ici sera entièrement et totalement subjective. Comment pourrait-ce en être autrement ? À chaque instant j'observe un monde en sachant qu'il n'est "que" le mien.


Mais n'allons pas trop vite !


Nous en étions, tout d'abord, au guerrier.


Voilà cette armure, tantôt noble et tantôt agressive qui semble parcourir ma réalité, lorsque j'entends les informations du jour, lorsque j'accompagne des hommes et des femmes de plus en plus nombreux, épuisés par des sensations de blocages ou d'absences d'épanouissement dans leur vie. Lorsque je m'observe moi-même, parfois impatiente ou révoltée, mais cela parfois très intensément en des circonstances souvent très banales.


Et observant ce guerrier, celui qui a parcouru tant d'épreuves pour arriver jusqu'ici, celui qui est prêt à dégainer comme on dit, pour atteindre l'Himalaya, à condition qu'on le lui ait promis, ce Don Quichotte qui se bât jusqu'à ne plus savoir pour qui ou pour quoi... L'observant, j'entends les récits de guerre et ceux des cris choqués, légitimement, voulant lutter contre la violence, quitte à rajouter encore plus de violence. En finira-t-on un jour ?


Quand cesserons-nous de nous battre les uns contre les autres ? Voilà les hurlements intérieurs de nos guerriers, tels ces pompiers épuisés mais qui existent tant qu'existent les incendies.


Comment ne pas être attristé par les injustices, par les histoires qui se répètent et les douleurs qu'elles ravivent, même de loin ? Comment ne pas en être fatigué et, écoeuré de sa propre fatigue, finir par en vouloir jusqu'à l'hirondelle qui passe, nonchalamment, par-dessus le ciel, sans être, elle, au courant de rien ?


Nous voilà au bord de ce que la philosophe Cynthia Fleury nomme "ressentiment" avec détails et pertinence à travers son étude de l'individu et du collectif.


Ce sentiment si particulier qui nous indique nos frustrations non-digérées, comme une époque de boulimie où l'on n'a plus le temps ni le droit de vivre ses émotions, l'une après l'autre, ce sentiment nous accablerait tous si nous n'avions, en nous, cette pulsion d'un guerrier s'en allant au front, coûte que coûte. Nous voilà au coeur d'un certain système de "performance".


LE TEMPS QUI CHANGE


Comme lorsque l'on passe de l'été à l'automne où le feuillage des arbres se meurt, naturellement, sans que l'arbre n'en éprouve aucune honte, aucune gêne, aucune rancoeur, notre rythme à nous aussi ralentit tandis que la nuit s'invite plus tôt dans notre chaumières et que le froid nous invite à glisser sous nos couettes. Sans même avoir eu le temps de s'apercevoir du changement de saison, du changement de rythme...


Voilà que le guerrier, sans crier garde, a posé ses armes à terre ! Par la force des choses. En ce monde de formes éphémères, les corps ont une fin. À un certain moment, consciemment ou inconsciemment, l'organisme s'arrête. Ou se transforme. Une croyance en moi s'est installée depuis de nombreuses récentes explorations de l'âme humaine : la vie fait toujours pour le mieux, y compris là où cela nous semblerait terrible ! Même là où cela nous semblerait pire. Comme un arbre grandit en se tordant, mais grandit tout de même, pour éviter un poteau dans sa croissance, nos mécanismes parfois prennent des chemins détournés pour ne pas dire tordus afin de permettre à la vie de croître. Parfois jusqu'à la mort elle-même, c'est-à-dire la régénéréscence...


Cette réalisation est celle qui indique la "guérison" s'il en est. Elle est ce point charnière qui passe du guerrier au magicien. Tant que le magicien n'est pas rencontré, nous ne sommes toujours pas sortis du pétrin, dirais-je...


Qu'est-ce que le magicien alors ?


Il est cet alchimiste qui sublime, au sens véritablement chimique du terme, celui qui permet de passer d'un état solide (lourd, chargé) à un état liquide (léger, fluide). Il est celui qui n'a plus besoin de se battre "contre" pour transformer à sa guise, pour manier les vibrations, les formes et les couleurs selon sa curiosité du moment. Il est celui qui a compris que son chagrin n'avait plus sa source en l'Autre mais en lui-même et que, par conséquent, sa joie aussi n'était nul part ailleurs qu'en son propre pouvoir.


Comment alors, ne pas penser, évidemment, à l'artiste, au sens le plus noble du terme ? Noble parce que conscient, pleinement, de ce que "art" signifie étymologiquement : un moyen. Rien d'autre. Et tellement...


L'art n'est pas une finitude en soi. Mais la vie a-t-elle une quelconque fin ? Rien que je sache qui ne soit à accomplir. L'expression "rater" ou "gagner" sa vie sont autant d'illusions d'optique qui parcourent nos histoires et nous détournent tant que nous croyons encore aux histoires...


Mais, plus profondément, lorsqu'un individu, et plus encore toute une société, n'ont plus de raisons assez valables pour se battre les uns contre les autres, à lutter et à vouloir rétablir ce qui n'a pas été et donc ne sera pas, il est un horizon nouveau, celui du guerrier qui, genou à terre, semble plus grand encore par sa présence.


Entre le passé et le futur, le présent reprend ses droits.


Et si l'on doute encore un instant du caractère vital de l'art dans chacune de nos vies d'êtres humains, il sera alors ici la démonstration qu'il ne peut fondamentalement exister de guérison sans art et d'art sans guérison.


Pourtant je ne parle pas de la présence de l'art comme d'un domaine qui s'ajouterait à tous les autres de notre système social. Non, je parle de cette faculté, que dis-je, de cette nécessité de chacune de nos cellules à créer sans cesse, à se renouveler et à inventer. Je parle de l'art-être, comme Christiane Singer définissait l'amour non pas comme un sentiment mais comme la substance-même de la vie.


Il n'est pas question de vouloir être un artiste, comme le dirait un peu grossièrement la chanson... Mais de réaliser qu'il n'existe pas de souffle sans musique, de regard sans paysage ni d'âme sans chant. Et que, comme un enfant sait si bien déballer un cadeau qu'il voit devant lui sans se poser plus de questions, nous avons cet immense cadeau en nous qu'il nous est impossible de voir mais possible de déballer à la condition d'en passer par l'autre chez qui nous voyons le cadeau.


Cet Autre peut être une musique...


À tous les magiciens du quotidien que nous sommes,


Je nous souhaite un novembre plein de merveille !


Hélène TYSMAN



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