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LA VIE EST UN PRISME !

L'observateur observé


Le concept du prisme m'est apparu il y a quelques années et s'est renforcé avec mon cheminement entre art et sciences humaines. Cela m'est venu un jour où l'on m'avait offert un bel objet ressemblant à un kaléidoscope. En posant mon oeil d'un côté de cet objet, je pouvais voir depuis l'autre côté apparaître une nouvelle version de la réalité. Façon multiformes : d'autres angles, d'autres mises en relief. Le trompe-l'oeil venait-il de l'objet, de mes yeux ou de la réalité ? Soudain, en faisant l'expérience de l'illusion - comme lorsque nous assistons à un tour de magicien - je découvrais mes propres illusions, celles qui bernent généralement notre mental inattentif au subliminal. Quelle beauté des formes et des couleurs ! Puis, en tournant la lentille de la loupe, je vis apparaître d'autres perspectives encore, m'émerveillant non plus de l'objet perçu mais de la vue elle-même. Le processus de voir devenait un processus de transformation. Celui d'une création - en perpétuelle évolution. Je réalisais alors que notre véritable talent, notre art le plus ultime est peut-être ce chemin que nous créons entre ce qui est et ce que nous sommes.


Comme un kaléidoscope géant, tout est question de prismes.


Depuis quelque endroit que je sois, mon ressenti sera toujours le même : je suis au centre de l'univers. Cela peut sembler choquant mais c'est un fait ! Ma raison peut bien me faire prendre en compte l'environnement, les sept autres milliards d'humain, les terres et les océans, la géographie des continents, des pays puis tout le reste. Dans mon ressenti interne, chaque expérience directe du monde ne passera que par ce point commun que forment toutes les strates de ce "moi" : la pleine conscience, mon histoire personnelle et le rapport de l'un à l'autre. Finalement une trinité digne du Père (l'arrière-plan de la conscience), du Fils (l'incarnation du père en tant qu'être humain) et du Saint-Esprit (l'Unité à travers la rencontre de l'un et de l'autre). Nous voilà alors un peu comme l'observateur observé. Au fond, nous sommes l'acteur autant que le rôle, l'éclairagiste, le caméraman, le réalisateur et le spectateur ! D'ailleurs, si j'essayais à l'instant d'avoir une pensée qui n'émerge pas de moi, mon esprit serait bien embêté... Pourtant ce "moi" est bien plus créateur qu'on ne l'imagine !


L'acte créateur


J'ai parfois cette impression d'une certaine persévérance de l'humanité dans l'idée que la vie est faite de quoi ou de pourquoi mais rarement de comment. Notre système de pensée s'est d'avantage développé, à mon sens, dans la croyance que tout sentiment ou toute sensation - donc toute pensée - nait de sa relation à un objet, c'est-à-dire à l'Autre quelqu'il soit, plutôt que de sa propre mécanique de pensée.


Le sage, lui, rétorque : "dans la joie de revoir un ami, concentre-toi sur la joie et non sur l'ami".


J'observe que nous nous sommes plus éduqués à porter notre attention sur l'objet que sur le processus qui nous fait ressentir la joie ou la tristesse. Il n'y a là rien de bien ou mal mais une simple constatation : la répétition d'objets devenue lassante tant ils ne parviennent pas à remplir véritablement nos vies. Serait-ce là l'origine d'un ennui généralisé ? C'est peut-être ce qui expliquerait le mystère de n'avoir jamais eu autant de richesse matérielle dans certains pays et paradoxalement une immense sensation d'insatisfaction voire de profondes frustrations.


Lorsque nous ne sommes plus conscient de notre système de pensée, nous en devenons les prisonniers.


Un ami me demandait un jour à quel endroit la femme que je suis faisait l'expérience de la puissance. Je lui répondis : "je me sens puissante dès lors que je prends conscience que je suis pleinement créatrice de la perception de cet instant de vie."


Or de la perception à la qualité de vie, il n'y a qu'un pas. C'est la manière dont nous nous parlons à nous-même, c'est-à-dire toutes nos croyances réunies - conscientes ou inconscientes - qui nous fait voir le réel sous un prisme ou un autre, donc crée notre réalité !


À mon sens, il n'existe pas les créateurs d'un côté et les spectateurs de l'autre. La vie-même nous pousse à nous relier à ce talent de création en nous. Simplement nous y portons parfois toute notre conscience et parfois y restons totalement inconscients. Lorsque Jacques Brel décrivait le talent, il parlait d'un homme qui aurait tellement envie de manger un homard qu'il aurait le talent de tout mettre en oeuvre pour le trouver. Voilà la meilleure définition que je connaisse du talent comme de l'acte créateur.


Parfois nous oublions combien notre vie est emplie de ces petits ou grands gestes à la recherche de ce qui nous anime. Par habitude aussi, nous portons peut-être plus d'attention sur ce qui nous inquiète que sur ce qui suscite notre plaisir, comme de vieilles bribes encore ici ou là d'anciennes interprétations de pseudo-morales culpabilisantes...


La vie s'amuse !


Dans ma perception, nous avons peu appris à nous amuser de l'interprétation de la partition, comme si celle-ci était une sorte de fatalité à laquelle il ne serait possible d'échapper qu'en la refermant - ou en nous refermant nous-même avec nos désirs, nos envies, nos rêves ou nos élans. Cette exploration de l'impossible nous a amené à une souffrance : croire en l'impuissance à vivre ce que l'on souhaite vraiment. Voilà le chemin typique où nous nous éteignons en nous résignant ou en luttant de plus bel. Pour surmonter cet illogisme intolérable, cette contradiction profonde entre nos ressentis et nos aspirations, nos inconscients à l'affut de nos dissonances cognitives créent alors un certain mécanisme de pensée tel que : "tout est écrit d'avance", "on n'y peut rien", "c'est comme ça"... De cette manière, au lieu de nous concentrer sur l'art de l'interprète-créateur que nous sommes en puissance, nous nous bornons à l'objet de la partition. En toute logique ! Mais comme Sisyphe sur la montagne ou comme un hamster dans sa cage : sans issue...


Longtemps j'ai entendu ces croyances jusque dans les conservatoires, suggérant comme diabolique l'idée-même de s'exprimer soi-même dans une partition. Il y a là, à mon sens, tout le déraisonnement d'une société qui a cru, par raccourci, que "moins j'existe, mieux c'est" !


Être le prisme


En tant que thérapeute, l'on apprend que la neutralité n'existe pas. La rechercher serait, en plus d'un non-sens, une contre-productivité pour ne pas dire une dangerosité. À vouloir se neutraliser (au sens propre comme au figuré !) tel qu'on pourrait s'en faire une image erronée d'un professionnel freudien, le thérapeute risque d'oublier le seul élément essentiel : être soi pleinement et naturellement, c'est-à-dire en congruence, plutôt que de chercher un masque conforme, uniforme et finalement tragiquement sans forme là où le patient ou client n'ose plus, lui non plus affirmer ses formes.


Heureusement qu'un thérapeute, un coach ou un artiste, est un prisme comme un autre et qu'il vient au contraire, avec le plus de conscience possible, faire résonner ou vibrer nos prismes à nous pour leur permettre de s'ouvrir de nouveau au mouvement de la vie.


La compassion frictionnante*


L'écrivain spirituel Yvan Amar utilise le terme de "compassion frictionnante" que je trouve