Je me rappelle une dame, il y a quelques années, qui me questionnait sur le stress du musicien sur scène. Vivant dans un environnement de banquiers, elle ne semblait pas vraiment comprendre la passion d'un musicien. Pragmatique, élitiste, je percevais son besoin de hiérarchiser pour se rassurer. Soudain, après m’avoir entendu parler de l’amour de chaque note, de la recherche vitale de la vibration juste, de l'excitation à vivre le flow ou encore de la tension en pleine performance et de la chute parfois vertigineuse des déceptions d'après-scène... elle s’exclame : « enfin, si un musicien se trompe, ce n’est quand même pas du niveau d’un chirurgien ! »
Nous ne parlions pas de la même chose.
Pourtant, cette exclamation m’est restée… et m'a inspirée !
J’en ai conservé son essence. Celle de se rappeler, justement, au droit fondamental à se tromper.
DE L'ERREUR AU VIRTUOSE
On confond parfois celui qui se trompe avec celui qui se désintéresse. Celui qui apprend et celui qui s’en fiche ou – pire – celui qui serait, soit-disant, « incapable ».
Pourtant cela n’a rien à voir !
Ô combien il est nécessaire de se tromper pour affiner sa capacité et combien il faut d’audace, de courage et d’engagement pour oser tenter, quitte à se tromper.
Ô combien de sagesse faut-il pour ensuite accepter de refaire, de réajuster ou carrément changer son geste, sa direction, ses idées, ses croyances.
Finalement c'est s'ouvrir à connaître mieux et plus encore. C'est lâcher ce que l'on voudrait montrer de soi et assumer ce que l'on croyait devoir cacher au monde. Bref, s'avancer vers la vérité.
À l'inverse, ne pas s’autoriser l’erreur, c’est décidément entrer en dictature de soi-même !
Mais qu’en est-il du chirurgien, me direz-vous ?
Il en est exactement de ce que je viens d’énoncer. Se croire à l’abris de toute erreur, c’est déjà se tromper ! C’est prendre un chemin risqué : celui de l’absence d’humilité, c'est-à-dire d’une illusion : celle de se croire sachant.
Pourtant, je vous l'accorde, c'est plus subtile !
SAVOIR OU NE PAS SAVOIR ?
À un ami avec qui nous conversions sur le « Soi », cet éveil de la conscience, je lui partageais cette vision du grand paradoxe humain : celui d’un être qui, profondément, sait qu’il sait (dixit Milton Erickson, père de l’hypnose moderne, spécialiste de l’inconscient) et qui, au même moment, face au mystère de la vie, sait qu’il ne sait pas (dixit Socrate). Les deux affirmations sont vraies. Et c'est précisément là que commence le véritable accord de soi-même, comme on accorde un Stradivarius, à la manière de ces pratiques bouddhistes qui nous ramènent sans cesse au « juste milieu », ce diapason de nous-même, entre le corps, l'esprit et le coeur.
Dans cette trinité, celle d'un accord fondamental parfait, seul le mental utilise des mots. Le coeur et le corps ont un autre langage, une autre forme d'intégration, d'expérimentation, de compréhension. L'intuition et l'analyse ne sont pas ennemis. Ils sont de parfaits alliés, à condition de savoir les reconnaître et d'en être le véritable chef d'orchestre.
Parfois mon mental ne sait pas ce que mon coeur sait. Ou mon corps s'élance là où mon esprit ne saisit pas encore le pourquoi du comment.
L'INTENTION
La question n’est donc pas de savoir si je sais ou ne sais pas, mais d’où part ce qui sait ou ne sait pas. L’on croit s’élancer fondamentalement vers quelque chose ou vers quelque part mais, de mon point de vue, la sagesse nous amène plutôt à l’endroit d’où tout part. Ce que certains nommeraient l’intention. Nous n’allons nulle part d’autre qu’à la racine de ce que nous sommes ! Le fameux back home. « La source ».
Quelle est donc mon intention lorsque je suis dans le connu ou lorsque je m'aventure dans l'inconnu ? Suis-je moi-même à coeur ouvert ?
Il me suffit de penser à la manière dont le chirurgien se prépare à opérer. N'est-il pas semblable au musicien qui s’apprête à jouer les Variations Goldberg de Bach devant une multitude d'auditeurs ? Au skieur en haut d’une piste ? Ou encore au boulanger qui lance son pain au four pour tout un village ? Quelle différence ? Du prêtre qui installe le rituel d’un enterrement à la sage-femme qui ne sait pas encore qu’elle va accompagner la naissance d’une âme ce matin-là, il y a l’élève qui, lui, ne sait qu’une seule chose en cette symbolique rentrée scolaire : il s’ouvre à de nouvelles connaissances.
Le droit de se tromper, lorsqu’il est relié à cette conscience, c’est un accès direct à sa profonde liberté, c’est-à-dire le champ de tous les possibles : notre nature d’Être.
Combien de concours ai-je raté pour en réussir certains ? Combien de concerts décevants pour comprendre plus profondément et transmettre au concert suivant quelque chose d'exceptionnel ? Je me rappelle cet aveu du grand Arthur Rubinstein devant un journaliste : « après chaque concert, je me réjouis seulement de combien le suivant sera forcément encore meilleur parce que j'ai compris quelque chose de nouveau ! »
Voilà déjà la sagesse de celui qui sait que certains diront : « j'ai entendu ce pianiste à Vienne, il est formidable ! » Tandis que d'autres qui diront : « je l'ai entendu à Paris, c'était pitoyable ! » Ce sera alors le signe que ce pianiste, en tout état de cause, aura pris un risque. Celui d'être bien vivant !
Pour ma part, je ne me sens plus dans la recherche d'un « plus » ou d'un « mieux ». Mais plutôt dans l'affinage de cet instrument que je suis, indépendamment du lieu ou de l'objet, et la joie qu'il vibre lorsque la parole, le geste et le coeur y sont en harmonie. Peu importe le scénario, l'histoire !
En voyant par hasard des vidéos de jeunes passionnés de skateboard tomber ou virevolter, et m'inspirant cette réflexion, je suis émue de réaliser ce qu'il y a de plus beau dans la passion : nous révéler à notre propre vérité, celle qui nous montre que de tomber ou de se relever, cela n'est pas le plus important. Seul compte l'élan, cette reconnaissance en nous-même d'une force plus grande. Certains la nomment joie !
Un formateur en hypnose de qui j'ai eu la chance d'apprendre, ancien danseur étoile, nous lançait régulièrement : « Trompez-vous ! Prenez ce risque ! Mais à une seule condition : faites-le avec panache ! »
MIEUX QUE NOS FANTASMES : L'ART DE VIVRE... AVEC PANACHE !
C’est alors, enfin, la cessation de tous les fantasmes dans ce qu’ils nous divertissent plus qu’ils nous offrent à vivre notre vie réelle. Il y a une différence radicale entre rêvasser et rêver. Entre, comme le dit cette célèbre citation : « rêver sa vie ou vivre ses rêves ».
En vivant ses rêves, naturellement, les fantasmes s’évanouissent car la réalité dépasse de loin des bribes mentalisées et soi-disant sublimées, pour vivre réellement ! Une erreur conscientisée, c’est alors un chemin auquel nous n’avions pas songé qui s’ouvre, plus grand encore, à soi. Avec le risque de sortir du connu, c'est-à-dire le droit à sa liberté.
Comme un aventurier qui sait que la valeur n’est pas tant dans la destination mais le chemin en lui-même, il trébuche parfois et tombe, pour voir, depuis la terre, tous ces minuscules détails de brins d’herbes majestueux qu’il n’avait pas réalisé depuis son regard porté au loin. La fameuse - et précieuse - sérendipité.
Dans cette vastitude infinie, ce que je prenais pour une erreur n'était, en réalité, qu'une chose dont je n'avais pas encore compris la signification. Voilà, peut-être, ce qu'on nomme humilité. Cette humilité est l'élan, le courage de s'élancer parce que quelque chose de plus profond nous pousse vers des horizons que l'on n'avait pas prévu.
Depuis le créateur que l'on est ou depuis la conscience de l'oeuvre d'art qu'est la Vie, l'à-côté n'existe plus ! Mais le mystère prend toute sa place...
« ACCEPTER EN CONFIANCE CE QU'ON NE SAISIT PAS ENCORE »
Voilà la phrase d'un personnage dans le film Interstellar. Et si ce que l'on prenait pour l'impossible, pour le non-sens... n'était en réalité qu'un mystère que nous ne pouvions encore saisir de là où nous sommes ? Et si ce mystère était un encouragement à nous relier à bien plus grand que ce que nous croyons de nous-même : la foi ?
L’art est bien plus qu’un fantasme ! Ce n’est pas non plus un objet. C’est un art de vivre.
C’est ainsi que nous sommes les artistes, chacun, de nos vies, ces œuvres d’art du quotidien. Or ces œuvres n’ont de référence que la nôtre. À nous de prendre conscience de notre accord intérieur afin d'en savourer le jeu.
La question n’est plus d’avoir juste ou de se tromper. Tomber ou se relever n'a aucune importance ou n'a plus la même signification ! Comme le sérieux d'un enfant qui joue, c’est la manière de tomber et de se relever, tels ces maîtres d'arts martiaux qui apprennent autant l'un que l'autre... C'est l'art de marcher enfin, de continuer ou simplement de se poser. Car il n’y a rien d’autre. Rien d’autre que la joie ! Celle de vivre tout cela. Et de le vivre… vraiment !
Vous souhaitant une magnifique rentrée à vous !
Dans l’audace d’être Soi ! Cette simplicité du cœur,
Et jusqu’au bout de la note…
Passionnément,
Hélène Tysman
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