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Où Cours-tu, ne sais-tu pas que la musique est en toi ?

Ce titre, emprunté à l'immense auteure Christiane Singer* me vient en cette période où les questions de liberté, de vie, de création - ou recréation - tourbillonnent dans l'air comme les flocons blancs de pissenlit dansent la saison du printemps. Soudainement, enfermé avec soi-même, l’on se questionne comme jamais notre liberté et le sens de notre vie. Où en suis-je ? Cette auteure qui avait le sens des mots savait aussi celui du cheminement humain et spirituel. Grave et rieuse, légère et profondément artiste, elle fascinait, intense, par sa présence autant que par sa plume, jusqu’au bout des ongles. Maître dans l’art d’éplucher l’ognon que nous sommes, je l’imagine aisément préférer le terme de « cheminement » à celui de « développement personnel ». Voilà que des deux mots se trouvent en réalité deux mensonges. À l’image du fonctionnement capitaliste, l’idée de développement évoque succès, croissance, intelligence, individualisme. Dans notre inconscient collectif, le développement est lié à « plus » et instinctivement nous recherchons ce « plus » : plus de bonheur, plus d’amour, plus de richesse, plus de succès, plus de paix, plus d’équilibre… Une société se développe, une carrière se développe, une entreprise se développe. Un individu peut se développer en créant de nouveaux apprentissages, de nouvelles ressources et même de nouvelles valeurs.

Mais profondément, un être qui questionne ses conditionnements, ses propres enfermements, ses croyances, ses blessures, recherche-t-il ce développement-là ? Cherche-t-il à développer d’avantage encore ce qui précisément pèse déjà si lourd dans son bagage personnel, devenant si important qu’il pourrait nous faire croire que nous ne pouvons plus bouger, que chaque mouvement est devenu trop compliqué, trop difficile, trop impossible ? Au-delà du développement, c’est le mot suivant qui crée surtout la distorsion dans notre inconscient bien intentionné et quelques fois maladroitement guidé. Là où nous découvrons le personnage enfin, l’illusion de la personne au fond de laquelle se sont créés tellement d’attachements, de rétrécissements, de strates artificielles et superflues recouvrant ce qui est – vraiment - il n’est réellement personne ce persona qui désignait à l’origine le masque de l’acteur. Le « personnel », toute l’histoire que nous nous racontons sur nous-même en croyant qu’elle est la « vraie » histoire, ce personnel se trouve alors bien démuni lorsque la conscience s’ouvre, elle, à plus grand, qu'elle prend conscience d’elle-même. Pris en flagrant délit de faux-semblant ! Le mensonge traqué par le miroir.


La conscience, ce n’est pas le mental ni les pensées ni ce que certains nommeraient l’âme. La conscience, c'est un témoin. L’observateur. Celui qui est capable en chacun de nous de faire un pas de côté et sentir que « ça » vit indépendamment de toute projection passée, future, sur l’un ou l’autre. Dans l'ici et maintenant il n’existe pas la peur. Elle n’existe que lorsque le mental écrit l’histoire… Et combien d’histoires avons-nous créé qui n’ont jamais vu le jour ?! En véritables réalisateurs, auteurs, créateurs de multiples univers, nous envisageons chaque jour mille scénarios, testant telle ou telle porte et finalement nous retrouvant le plus souvent aux mêmes destinations déjà connues et répétées. Car ces portes ne sont rien d’autre que les échos d'un passé que nous nous racontons en boucle.


Certaines personnes n’ont jamais été malades et nourrissent, plus que la croyance, la certitude – une foi totale – dans le fait d’être immunisé en ayant déjà survécu à de nombreux contextes menaçants. D’autres ont intégré physiquement l’expérience de fragilité, du besoin de prendre soin et sont persuadés d’avoir besoin de tels ou tels remèdes, précautions, médicaments et que même avec cela ils restent la cible idéale de toute attaque extérieure. Bien sûr chaque physiologie est différente et chacun trouve son équilibre le plus écologique et le plus intime de soi à soi. En tout état de cause, l’histoire qui se raconte nous incite à nous définir un futur selon nos propres représentations et qui, le plus souvent, ne sera même pas réalisé.


Nous interprétons beaucoup en oubliant parfois que nous sommes aussi les créateurs ! Interprètes-créateurs, tel Michel-Ange qui confiait que la sculpture - son oeuvre - était déjà là dans le bloc de marbre qu’on lui livrait et qu’il ne faisait que retirer ce qu’il y avait en trop tout autour pour laisser mieux paraître la statue. Rendre visible ce qui est déjà là. Nous pouvons, nous aussi, apprendre à écouter notre sculpture intérieure, à l’observer, cette forme qui était déjà là bien avant que nous y ajoutions notre ressenti « personnel » justement. Non pas développer de nouvelles strates mais ben au contraire extraire, enlever, tailler tout ce qu'il y a en trop, tout ce qui nous illusionne à penser que nous ne sommes qu'un bloc de marbre alors que la vie se trouve tout juste là, en-dedans, derrière toutes ces couches inutiles ou dissimulatrices.

Un musicien cherche sans cesse cette vérité comme un écrivain cherche les mots exacts, nécessaires, ceux qui font que rien de plus n’a besoin d’être ajouté et rien de moins ne doit être enlevé. À l’image de l’hypnotiseur célèbre François Roustang, dont les séances déroutaient chaque fois d’avantage tant il s’appuyait sur la simple présence, le simple silence - pas si simples, et pourtant une fois là on se dit « c’était si simple » ! – nous avons accès nous aussi à cette partition unique qui ne demande rien d’autre que son témoin, celui qui a conscience d’être.


ÊTRE


Un ami me confiait le terme de « dépouillement personnel » que je trouvais alors plus juste.

Dans ce processus où il n’est question que de discernement et de détachement, ce qui est, c’est le réel, disent les sages Tibétains. Simple. Pourtant, qu’est-ce qui est réel ? Une table, une chaise ? Elles finiront par vieillir, se décrépir, en poussière ou recyclées par l’homme. Un temps elles n'existaient pas et bientôt elles n'existeront plus. De plus si je ne les regarde pas, continuent-elles d'exister vraiment ? Le réel, lui, est immuable. Permanent le souffle de vie qui anime, la conscience, l'instant, l’ici et maintenant. Les états d’être, eux, changent, fluctuent. Je peux choisir de changer de nom, d’identité, de pays, de nationalité, de profession, de famille et même de sexe… Mes émotions sont changeantes comme mes croyances (un temps je croyais au Père Noël avec conviction, puis j’ai cru avec autant d’insistance à certaines qualités me définissant ; le monde a cru un jour que la terre était au centre de l’univers alors qu'à présent cette croyance nous semble obsolète). Dans ce cas me direz-vous, qu’est-ce qui est inchangeable, permanent ? Qu’est-ce qui reste et qui est tellement là indépendamment de tous ces mouvements et de toute volonté ? La conscience. La conscience d’être. La « présence ».

Peu importe le mot. Lorsque nous sommes bébés, nous n'avons pas encore développé la conscience individuelle et nous ne faisons aucune différence entre l'autre et soi. De vrais sages nous étions alors ! Sans en avoir conscience. C'est la raison pour laquelle la présence d'un nouveau-né attire tant là où il n'est que d'insignifiants gestes, de balbutiements. Tout autour les gens se pressent, comme devant la présence d'un chat. Je regarde le mien et suis fascinée qu'il soit si silencieux, délicat, presque invisible et pourtant attirant toute l'attention par sa présence. Arnaud Desjardin avouait s'être rendu compte que les gens se sentaient attirés auprès des maîtres en Inde parce que, observait-il, ils émanent une chaleur tel un feu de cheminée où il fait bon vivre à côté. En un mot : l'amour.


Or ce n'est qu'après, en assimilant ce que nous renvoie l'extérieur comme séparé de nous, différent de nous, que nous prenons conscience en grandissant de notre personne, de notre individualisation. L'enfant comme l'adulte sait qu'il est en vie. Or si personne autour n'est présent, s'il n'y a pas de miroir, comment le sait-il, comment le sent-il ?


Il n'y a dans cette conscience ni avant ni après. Juste "amour".

Alors nos états d'âme, nos états d'être peuvent bien fluctuer, bouger, danser et venir nous chatouiller. En ce sens ils sont irréels ! Cela ne veut pas dire qu’ils sont insignifiants ou illégitimes. Ils sont comme une girouette qui nous indique la direction du vent. Ils sont aussi nos guides comme le disait cet autre sage en déclarant cette jolie phrase : « la souffrance est une amie qui nous prend par la main pour nous ramener chez nous ». Les émotions, agréables ou inconfortables, terribles ou insupportables, nous indiquent un déséquilibre, une dissonance comme l’insistance d’un frottement pour nous inviter à retrouver l’harmonie.

Lorsque j'accompagne en séance d'hypnose par ces temps de visio-conférences, il me semble plus proposer à la personne de sortir d'un état d'hypnose pour entrer dans un autre état d’hypnose que de croire faussement qu'on vit dans le "vrai" et qu'on va s'offrir un rêve "iréel" le temps d'une pause !... Ainsi nous nous permettons d'ouvrir différemment nos yeux sur notre monde intérieur ou extérieur. Comme la scène de théâtre peut être vue de derrière les rideaux ou sur les feux de la rampe, côté jardin, depuis le public ou en hauteur façon machinistes. Tout cela reste un théâtre et pourtant, au-delà des décors, nous y croyons !

Certains pourraient aussi se crisper en entendant le mot "dépouillement personnel" tant notre croyance est forte que sans argent dans notre société actuelle rien n’est possible, que se mettre à nu c'est prendre un risque fou. Et quel plus beau risque pourrait-il y avoir sur une vie, une seule et unique vie ? Souhaitons-nous tergiverser, tourner autour du pot, prévoir jusqu'à sa mort sans rien vivre et finalement rien emporter au-delà ? Derrière cette mise à nu se tient, cachée, un peu honteuse, un peu misérable, accrochée comme l’enfant à la jupe de sa mère, la peur du dépouillement en ce qu'elle évoque la pauvreté. Le pauvre n’est-il pas aussi celui confiné en ce moment avec confort, télévision, nourriture en abondance (trop ?), compte épargne et assurance tous-risques, cependant qu'il peut être plongé dans un sentiment de solitude, de peur du manque, de corps qui abandonne, de désertion de soi-même, d’inquiétude de l’avenir, terrifié de tristesse, de colère ou d’absence de paix, indépendamment de son environnement ?