L'ART D'ÊTRE

Une fois atteinte, la performance nous révèle qu'elle n'était pas ce que nous cherchions, qu'elle ne nous apportera rien de ce que nous voulions profondément. Ce n'était qu'un détour, au mieux un chemin. Et encore !

Pourtant elle est un objectif par tant de passionnés, d'artistes, de musiciens et même de poètes... Prêts à tout pour atteindre une certaine perfection. Impossible de s'en arracher, de l'abandonner.

Inlassable, je répétais, moi-même obsédée par la note juste, des journées entières au piano. Il m'a fallu aller au bout de ce fil de funambule pour percevoir que cela n'était, au fond, qu'un mythe de Sysiphe. Comme l'humanité prise dans cette folie d'une machinerie en puissance, nous croyons que, plus nous tendons vers un idéal extérieur, mieux nous sommes. Jusqu'à ce que le fil craque. Celui de nos émotions, de notre équilibre, physique, naturel. Cela s'appelle "l'écologie". Quand la maladie (le "mal a dit") de la terre, de nos os (et de nos eaux), s'exprime, parfois tout bas, d'autres fois hurlant, ce n'est autre qu'une invitation à retrouver son véritable chemin, l'équilibre de de soi sur le sol et dans les airs. Rentrer chez soi.

L'écologie n'est pas que dans les arbres ; elle est partout. Elle questionne nos relations autant que notre santé ou nos pensées... Et l'écologie, "le bien-être", n'est pas affaire de performance. Sinon, au vu de toutes nos performances, nous serions déjà à être bien ! Qu'il tempête, qu'il neige ou qu'il ouragan. Si le moindre mouvement d'un nuage continue de nous faire vouloir tirer sur le nuage, alors nous n'avons pas même encore enclenché le début d'un commencement à être. Mais l'échec de la performance, paradoxalement, nous emmène droit direct là où nous n'osions pas - mais aspirons tellement - à nous rendre. Dans notre coeur !

L'AU-DELÀ EST EN-DEDANS

Longtemps j'ai cru devoir atteindre un Graal qui serait quelque part à l'extérieur. Au fond, je savais que je cherchais quelque chose, mais je n'avais pas encore conscience à quel point Cela que je cherchais était là. En Soi.

L'idéal n'est pas ce qui est vu mais ce qui voit !

Le véritable artiste n'est pas un artiste du fait des oeuvres qu'il a créées mais du fait de sa nature même à créer. Or, c'est ce que nous somme tous, le plus souvent inconsciemment. Ceux qu'on nomme les artistes ne sont que des éveilleurs du créateur que nous sommes. Conscients, ils le rappellent.

À chaque pas, nous créons un chemin. "Avance puis le chemin se créera", disait le poète Rumi. Car ce que tu cherches te cherche aussi... Laisse-le advenir !

Ainsi, ce qui se joue aujourd'hui globalement, politiquement, écologiquement, économiquement, n'est pas dissociable de ce qui, en notre intime, se joue, profondément.

Il n'est question que de ces minuscules déclics qui changent pourtant nos vies. Qui changent Tout. Et ce déclic porte le nom de "sens". Car aller vite, loin, fort, comme une fusée prête à exploser sur la lune, est certes une prouesse, une virtuosité. Comme les "broyeurs d'ivoire" comme on nommaient les pianistes qui, au conservatoire de Paris, à un certain moment (parfois toute leur vie), décidaient de sacrifier l'émotion pour jouer vite et fort, quitte à en massacrer les touches jadis ivoires d'un clavier immaculé. Il y a souvent cet instant où l'on se grise de maîtriser mieux, plus encore. Comme un joueur au casino, les satisfactions qui se déclenchent et titillent l'égo en furie, nous rendent accros ! On veut miser plus gros : multi nationales, fusées, robots.

Puis un jour, à force de fonctionner à l'énergie de la colère, celle qui croit devoir hurler plus fort que son voisin pour tenir debout, l'humain se fatigue. Nié, oublié, étouffé, il ne respire plus. La lutte de soi à soi est un combat perdu d'avance car, au mieux, vous gagnerez. Et alors, l'humain disparaitra.

Pourtant, plus le temps se déroule, plus ma foi grandit. Paradoxal ? Ce sont toutes ces défaites qui n'en sont pas et ces victoires qui nous dépassent.

Comme lors d'un concert où, d'abord tendu, la fausse note arrive, salvatrice, alors qu'un nouveau paradigme s'ouvre. L'âme se fiche bien des comptabilités. Correct n'est pas vibrant. Mais la justesse, elle, connait son chemin. Prête à tout, il lui est impossible de ne pas le suivre, quitte même à mourir ! Étrange fonctionnement que notre inconscient si on l'appelle ainsi. Au fond, la vie ne sait rien faire d'autre que prendre soin de la vie. Imperturbable, têtue et follement aimante. La vie inclut tout et accueille tout, en elle-même. Puis, alchimiste, elle transforme et métamorphose. Kaléidoscope, nos cellules sont plus intelligentes que tous les ordinateurs du monde. Pas que les nôtres d'ailleurs, qui ne font que passer et se transmuter... Toutes les cellules qui font que nous ressemblons à tout ce que nous voyons et voyons tout ce qui nous ressemble.

Tandis que le nuage passe, le ciel demeure, laissant percevoir le trait du pinceau qui ravive par ses dégradés le bleu impénétrable. Beethoven, Bach, Ravel, l'ont compris, à leur manière, avec leur langage. Il peut bien y avoir un cataclysme, quelque chose reste, imperturbable et se meut comme le corps tourné boulé en huit.

"LA VIE N'A PAS DE SENS. ELLE EST LE SENS" (Chrtistiane Singer)

Alice au pays des merveilles nous rappelle notre plus grand talent, celui de créer du sens, par nos sens. "Si la vie n'a aucun sens, rien ne t'empêche d'en créer un". Et puis d'en changer, par les milliers de connexions que tu génères à chaque seconde créant et recréant le plus extraordinaire de tous les puzzles. L'ordinateur ne saura jamais trouver ni créer du sens. Il ne sait que calculer.

Voilà l'essence ! La nôtre. Loin d'une performance qui n'est qu'un chemin, un bras tendu un instant dans l'immense fresque de l'humanité croyant devoir chercher ailleurs ce qu'elle porte en elle, nous sommes invités, comme un virtuose en concert à écouter plus, mieux encore, le son de nos vibrations.

Aux créateurs que nous sommes, viscéralement,

Je vous souhaite un merveilleux mois de novembre !

Dans l'art de qui vous êtes,

Hélène Tysman